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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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jeudi 10 mai 2018

Edouard Taufenbach, 1988. France

Spéculaire.

Avec la collaboration du cinéaste Sébastien  Lifshitz (fournisseur du fond photograpique)









Au jardin



Beach



La Fugue



Lac



Le navigateur



Les garçons



Rhode Beach


Spéculaire puise ses matériaux dans la collection de photographies anonymes du réalisateur Sébastien Lifshitz. La sélection d’images retient l’épanouissement des corps nus ou à demi, en vacances au bord de l’eau ou sur les terrains de sport, dans l’intimité de la chambre et du jardin. L’hédonisme est de mise, et c’est dans cette liberté des courbes, des lignes et des motifs, qu’Edouard Taufenbach construit une autre dimension spatiale et séquentielle pour ces photographies anciennes. Agencement méticuleux de dizaines de fragments noirs et blancs, minces lames brillantes de papier photo, les collages jouent de la déformation et de la démultiplication des points de vue, créant des effets stéréoscopiques. Dans cette approche jubilatoire d’appropriation et de transformation des images planes et passéistes, Edouard Taufenbach partage sa fascination pour l’image amateur, vécue comme support de projections et de désirs.

« Sans doute est-il possible d’écrire une histoire para­doxale de la photo­gra­phie qui réuni­rait toutes les tenta­tives pour sortir de l’image plate et fixe qui, depuis ses origines, semble la quali­fier. Elle puise­rait autant dans les pratiques popu­laires que dans les usages scien­ti­fiques et artis­tiques du médium. Les prin­ci­paux jalons en seraient la photo­gra­phie stéréo­sco­pique qui, dès le milieu du XIXème siècle, grâce à deux vues légè­re­ment déca­lées, entend donner l’illu­sion du relief, la chro­no­pho­to­gra­phie qui, vers 1880 et l’ar­ri­vée de l’ins­tan­tané, permet de décom­po­ser le mouve­ment ou, encore, d’abord chez les amateurs puis les artistes, le photo­col­lage et sa capa­cité à multi­plier les points de vue et brouiller la pers­pec­tive, comme, dans les années 1980, les joiners d’ins­pi­ra­tion cubiste de David Hock­ney. Que ce soit dans l’es­pace ou le temps, parfois les deux à la fois, ces recherches ont pour fina­lité d’ani­mer l’image. Spécu­laire d’Édouard Taufen­bach reprend à son compte ce triple héri­tage auquel l’ar­tiste ajoute un inté­rêt, actua­lisé par les jeunes géné­ra­tions en quête de décloi­son­ne­ment, pour l’ob­jet photo­gra­phique.

Pour cette série, Édouard Taufen­bach n’a pas travaillé, comme à son habi­tude, avec des photo­gra­phies qu’il aurait déni­chées, mais à partir de la collec­tion d’images anonymes que le réali­sa­teur Sébas­tien Lifshitz réunit depuis plusieurs décen­nies. Sans doute était-ce pour lui la certi­tude de trou­ver des corpus cohé­rents et des clichés plus forts et plus rares que le tout venant de la photo­gra­phie verna­cu­laire qu’il s’ap­pro­priait jusqu’alors. Même s’ils sont impor­tants, comme en ont témoi­gné l’ex­po­si­tion et le livre Mauvais genre, cette collec­tion ne se réduit pas aux thèmes de l’ho­mo­sexua­lité et du traves­tis­se­ment. Guidé par Sébas­tien Lifshitz, Édouard Taufen­bach y a, plus large­ment, puisé des photo­gra­phies célé­brant la liberté des corps, une liberté qui s’épa­nouit dans l’in­ti­mité mais aussi au contact de la nature, tout parti­cu­liè­re­ment, au bord de l’eau.

Ces images du loisir, du plai­sir et du désir, Édouard Taufen­bach les démul­ti­plie, les frag­mente, en réagence manuel­le­ment les parties, parfois à des échelles diffé­rentes, dans une compo­si­tion issue d’une règle de nature mathé­ma­tique. Cette dernière est propre à chacune des images origi­nelles qui, d’une certaine manière, l’im­posent. Elle pointe, souligne et ampli­fie un aspect formel ou narra­tif. Ici, les cour­bures d’un corps. Là, un geste. Elle permet aussi, tout au contraire, de réin­ter­pré­ter complè­te­ment l’image, d’en inven­ter une nouvelle. Qui soup­çon­ne­rait que ce bouquet de silhouettes fémi­nines dont le dyna­misme est renforcé par son format verti­cal provient d’une image hori­zon­tale figu­rant une faran­dole, somme toute assez sage, de baigneuses ? Dans tous les cas, Édouard Taufen­bach a œuvré avec une jubi­la­tion non dissi­mu­lée qui décide aussi de certains titres : Hommage à Pierre M., pour l’ar­tiste éroto­mane, travesti et féti­chiste Pierre Moli­nier, ou Hippo­lyte B. Junior, pour Hippo­lyte Bayard, l’un des inven­teurs de la photo­gra­phie qui, faute de recon­nais­sance, s’est mis en scène en noyé.

Dans Spécu­laire, consé­quence de la frag­men­ta­tion et de la répé­ti­tion, l’ac­tion figée par l’ins­tan­tané semble devoir se dérou­ler dans le temps bien au-delà du cliché et, grâce aux chan­ge­ments d’échelle, le regard semble pouvoir péné­trer la profon­deur de l’image. Ces effets sont renfor­cés par les découpes – presque des facettes – du papier dont la brillance évoque le verre et ses reflets, quand l’ar­tiste ne produit pas de véri­tables volumes, en pliant l’image ou en la plaçant sous des prismes, qui imposent au regard de se dépla­cer. Mais Édouard Taufen­bach ne se contente pas d’ani­mer des images plates et fixes. Il parvient à insuf­fler la vie à ces photo­gra­phies anonymes du passé où l’on ne peut s’em­pê­cher, d’ha­bi­tude, de guet­ter la mort à l’œuvre. »

[texte] Étienne Hatt, expo­si­tion « Spécu­laire », février 2018

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